Monsieur et Madame Boudin sont paysans dans la Brie Laitière (Canton de la Ferté-Gaucher en Seine-et-Marne). A partir du
lait produit par leur troupeau de vaches montbéliardes, ils produisent du brie de Vieux-Maisons, du lait, du fromage blanc et de la crème certifiés en Agriculture
Biologique.
Comment ces céréaliers conventionnels en sont venus à produire des produits laitiers bios ?
Nous reprenons ici un entretien que nous a fourni Jean-Jacquesz afin de vous présenter mieux ce producteur avec qui
nous travaillons depuis début 2011. Jean-Jacques passe en ébut et en fin de distribution. Il ne reste pas car il livre 2 autres AMAP le mardi soir. Voici donc un long article pour faire plus
ample connaissance.
Entretien avec Jean-Jacques Boudin :
Comment êtes-vous passés de l'activité céréalière à l'activité laitière ? Pourquoi ce changement ?
Mon fil conducteur c'est la préoccupation pour le sol, la terre. Je travaillais en tant que céréalier conventionnel sur nos
136 hectares. Avec le temps – ça fait 20 ans que je suis agriculteur – je me rendais compte des dégâts engendrés par les pratiques des céréaliers.
Les analyses que je faisais sur le sol montraient qu'il s'appauvrissait de plus en plus. La terre s'asséchait en humus. Or
l'humus c'est comme le sang de la terre !
J'essayais de limiter les pesticides, de faire attention mais ça n'allait pas assez vite. Je voyais que l'agriculture
conventionnelle continuait à déraper, que la société en général évoluait dans un sens inquiétant, il fallait une rupture. Je ne pouvais plus continuer comme ça. Il fallait qu'à mon échelle,
j'empêche l'aggravation de ce dysfonctionnement. Pour cela, il fallait laisser le sol se reposer et donc faire de la prairie. Bien sûr, je savais que tout serait très lent. Je savais que les
choses prendraient du temps.
Aujourd'hui, le sol sur lequel je travaille n'est pas encore à l'optimum mais il se recompose lentement. Je le vois bien par
la qualité et la variété de la flore qui y pousse : par exemple, sur mon sol il y a encore une prédominance de graminées très rustiques. Quand je verrai pousser une flore plus
variée et sensible, je saurai que le sol s'est encore un peu plus enrichi.
A partir de cette nécessité de faire de la prairie, l'élevage coulait de source.
Pour ça, il fallait reconstruire des bâtiments pour abriter les bêtes, stocker le foin et la paille, il fallait fabriquer un
atelier de transformation. Ca allait demander de gros investissements et il fallait donc trouver une activité qui ait des débouchés et qui soit valorisante. A cette époque, en 1998, on était dans
le contexte de la vache folle, on n'était donc pas du tout dans une période de valorisation de la viande bovine.
Alors, je me suis lancé dans les vaches laitières. Ce choix est aussi lié à la région dans laquelle j'habite qui est de
tradition laitière et sans doute aussi à un héritage familial puisqu'une partie de ma famille faisait déjà du fromage. Ce qui compte pour nous donc c'est la patience, la démarche et c'est d'avoir
fait le grand saut.
Quand vous avez décidé de passer à l'élevage, comment avez-vous choisi vos bêtes ?
Je suis très attaché à la Franche-Comté où j'ai rencontré des gens avec qui j'ai beaucoup d'affinités et du coup mes 32 vaches viennent de là-bas, ce sont des Montbéliardes.
Précisément, elles viennent de Foncine-le-Haut, un petit village perché à 900 mètres, à la frontière du Jura et du Doubs.
Avec ces vaches, je ne pouvais pas faire que du lait parce qu'il n'y a pas de filière de transformation de lait bio dans la
région. Je suis le seul à faire du lait bio en Ile-de-France !
Donc, je me suis lancé dans le fromage et tout naturellement le Brie puisque j'habite la Brie laitière.
Quelle est votre activité maintenant ?
On traie les vaches deux fois par jour, tous les jours, même le dimanche ! C'est autre chose que l'activité céréalière où on
ne travaille pas pendant l'hiver. C'est très dur.
Avec ma femme, on essaie de se répartir les taches : je m'occupe plutôt de la traite et des vaches et elle plutôt du
fromage.
On fait du Brie suivant la technique du Brie de Melun et du Brie de Coulommiers : on laisse le lait cailler dans le
lactosérum pendant au moins 18 heures pour le melun; le fromage s'imprègne peu à peu des sels minéraux et des ferments présents dans le lactosérum. Du coup, il est plus typé que pour le Brie de
coulommiers, où le caillé ne repose que 30 minutes.
On est encore en train d'évoluer sur la technique. Ce qui est difficile c'est d'une part que personne dans le coin ne
travaille comme nous et donc on n'a peu voire pas de conseils et d'autre part que même les conseils des anciens ne sont pas toujours valables parce qu'à leur époque les sols n'étaient pas dans le
même état et du coup le lait que produisaient les vaches n'était pas le même. La qualité du lait dépend en effet de ce que les bêtes mangent et de leurs conditions de vie.
Nos vaches mangent du foin. Cette année, on s'est aperçu que le lait n'est pas le même que l'année dernière. C'est dû à la
qualité du foin. Le lait est plus gras, du coup on l'écrème et on produit de la crème. On évolue dans nos pratiques, on apprend aussi à valoriser la production en variant plus la
transformation.
Maintenant, on fait du lait, de la crème, du fromage blanc, du brie frais (c'est un fromage qui a trois jours), du brie de
quatre semaines, du brie plus sec qui a plusieurs mois, ainsi que du fromage blanc et un brie sans matière grasse.
Nos vaches passent 7 mois dehors environ. L'hiver, elles ne sortent presque pas. Elles vivent dans une étable qui leur laisse
quand même la place de se déplacer à leur gré.
Pour leur santé, on bénéficie des conseils d'un groupement de vétérinaires, spécialisés dans l'agriculture biologique : quand
c'est nécessaire, on leur donne de l'homéopathie, des huiles essentielles, de l'argile pour les petites blessures. On leur fait un peu d'ostéopathie parfois : un jour un
nouveau-né avait manqué d'oxygène pendant la mise bas, il était paralysé du visage. En lui pressant assez fort la tête avec mes mains, j'ai réussi à le remettre d'aplomb !
Ca paraîtra peut-être un peu curieux mais je crois que depuis que j'ai appris à soigner mes bêtes, j'ai appris à me soigner
moi-même parce que j'ai appris à interpréter les signes du corps.
En fait, je pense que le bien-être du sol, de l'animal et de l'homme sont très fortement liés.
On a tendance à l'oublier, je crois. C'est pour ça qu'il est capital de permettre que s'instaurent des relations entre les
consommateurs et les producteurs.
Il faut que le consommateur sache d'où viennent les produits laitiers.
A propos du consommateur, à qui vendez-vous ? Qu'est-ce que vous attendez de la relation producteur - consommateur ?
Je vends à des grossistes, à des chaînes de magasins de produits bios et à des particuliers par le système d'AMAP. Je cherche
encore des débouchés parce qu'actuellement on ne parvient pas à vendre assez.
J'ai l'impression que les produits laitiers de l'agriculture intensive, qui sont de très mauvaise qualité, de véritables
poisons même, ont provoqué une suspicion généralisée à l'égard des produits laitiers. Beaucoup de consommateurs ont donc réduit la consommation de ces produits.
Pour que nos produits se vendent plus, il faut qu'on arrive à nouer des relations avec les consommateurs : des relations
humaines, et non pas des relations fournisseurs-clients, des relations transparentes où l'on explique comment on travaille, des relations équitables et non pas des relations de domination avec un
gagnant et un perdant.
On cherche donc à s'insérer toujours plus dans le réseau des AMAP qui permettent ces rencontres et ces relations
durables.
On espère que ça va venir vite parce qu'actuellement, on porte trop de casquettes : il faut traire, s'occuper des vaches et
de l'exploitation, faire le fromage et les différents produits, s'occuper des quelques céréales qui nous restent, chercher les clients. Pour deux, c'est trop. Pendant quelques mois, au début, on
avait embauché quelqu'un mais on n'a pas pu le garder parce qu'on n'a pas les moyens. Nos prévisions économiques et financières établies avant le début de l'activité étaient bien trop optimistes.
Il faudrait qu'on arrive à vendre trois ou quatre fois plus pour pouvoir embaucher.
On a eu des aides régionales pour la conversion : jusqu'en 2002, c'était un Contrat territorial d'Exploitation (CTE) et
ensuite c'était un Contrat d'Agriculture Durable (CAD).
On a aussi eu des aides nationales pour le maintien de l'Agriculture Biologique. Toutes ces aides nous ont permis de faire
passer toute l'exploitation en bio et faire que l'activité céréalière est aujourd'hui devenue secondaire. Toutes ces aides, c'est bien mais ça ne permet pas de trouver des clients !
Pour le moment on tient. Mais les très gros engagements financiers sont lourds à porter et il faut que nous trouvions de
nouveaux débouchés.
On ne cherche pas à rouler sur l'or. On voudrait pouvoir réembaucher quelqu'un et travailler pour vivre sans s'épuiser. Pour
ça, on compte pas mal sur les AMAPs ou les systèmes du même type.
On compte aussi sur l'évolution des mentalités qui ne pourra se faire que par l'éducation : l'éducation à l'environnement
certes mais aussi l'éducation au respect de l'homme.